____Mes chers parents, je pars . Je vous aime, mais je pars. Vous n'aurez plus d'enfants ce soir. Je ne m'enfuis pas je vole, comprenez bien : je vole. Sans fumée, sans alcool, je vole. C'est jeudi, il est cinq heures cinq. J'ai bouclé une petite valise et je traverse doucement l'appartement endormi. J'ouvre la porte d'entrée en retenant mon souffle, et je marche sur la pointe des pieds comme les soirs où je rentrais après minuit pour ne pas qu'ils se réveillent. Hier soir à table j'ai bien cru que ma mère se doutait de quelque chose. Elle m'a demandé si j'étais malade, pourquoi j'étais si pâle. J'ai dis que j'étais très bien, tout à fait clair. Je pense qu'elle a fait semblant de me croire, et mon père a souri. En passant à côté de sa voiture, j'ai ressenti comme un drôle de coup. Je pensais que ce serait plus dur, et plus grisant un peu. Comme une aventure en moins déchirant. Oh ! surtout ne pas se retourner, s'éloigner un peu plus... Il y a la gare, et après la gare il y a l'Atlantique. Et après l'Atlantique... C'est bizarre cette espèce de cage qui me bloque la poitrine, ça m'empêche presque de respirer. Je me demande si tout à l'heure mes parents se douteront que je suis en train de pleurer. Oh ! surtout ne pas se retourner, ni des yeux ni de la tête. Ne pas regarder derrière, seulement voir ce que je me suis promis. Et pourquoi ? Et où ? Et comment ? Il est sept heures moins cinq, je me suis rendormi dans ce train qui s'éloigne un peu plus. Oh ! surtout ne plus se retourner, jamais.
Michel Sardou
